L'art de tuer au féminin

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I- Les sœurs Papin, entre mystère et fascination :


A- L’histoire vraie



a) Une vie familiale démantelée

 

L’histoire de Christine (1905-1937) et Léa (1911-2001), plus connues sous le nom des Sœurs Papin, reste encore floue. Elles sont nées dans une famille de 3 enfants, au Mans de l'union de Clémence Derée et de Gustave Papin. Clémence est le symbole même de la mère «  toute-puissante » et une épouse infidèle. Elle a la main mise sur ses enfants, et refuse toute interférence dans leur éducation de la part de son époux, Gustave, un père peu présent, faible et alcoolique. Clémence représente un vrai paradoxe, car bien qu’elle fut une mère dévorante pour ses enfants, elle fut incapable de s’en occuper à cause de problèmes psychologiques , et les deux sœurs furent placées dès leur plus jeune âge en famille ou institutions au gré de leur mère, qui considérait toujours leurs gages insuffisants. Un placement en foyers que Clémence ne considère pas comme une aide, mais plutôt comme une persécution, mais qui s’explique en par son aspect dangereux envers ses 3 filles, car son envie de s’en occuper est  bien souvent parasitée par des impulsions agressive, voire même meurtrières parfois. Elles vivent  dans une famille que l’on pourrait difficilement qualifier. Ainsi, Emilia, ainée des 3 sœurs, est violée par le père, à l’âge de 10 ans. Le divorce est rapidement prononcé mais l'inceste n'est pas dénoncé. Clémence traite alors Emilia en seule fautive et sa mère la place vite en maison de correction.

C’est à l’âge de 22ans que Christine débute son travail au Mans, en tant que bonne à tout faire chez les Lancelin, Mr René, Mme Léonie et leur fille Mlle Geneviève, suivie deux mois plus tard par sa cadette, Léa, engagée pour l’assister. Dès lors, entre Christine, et sa mère, une guerre de tous les instants s’installe. Christine s’en plaint tant que Madame Lancelin, sa patronne, touchée par leur application au travail, intervient auprès de Clémence Derée en 1928 afin qu’elle leur laisse garder l’intégralité de leurs salaires.  

Mais, en 1929, sans motif apparent et sans disputes, les deux sœurs cessent de voir leur mère, Madame Lancelin apparait comme «  sa remplaçante » et Clémence par la suite dira qu’elle ignorait les raisons pour lesquelles ses filles lui avaient tourné le dos. Christine, haineuse envers sa mère, se mit à la désigner par l’expression «  cette femme », ce qui inquiéta particulièrement les Lancelin, notamment monsieur Lancelin, qui sentait que cette « rupture » les avait perturbé et même replier sur elles-mêmes. De plus en plus taciturnes, la mauvaise image qu’elles ont de leur mère Clémence, les rend haineuses envers ce lien maternel, qu’elles refoulent presque immédiatement sur Madame Lancelin. Tout est alors en place pour la tragédie qui se produira cinq ans plus tard … Et pour cause, en 1932, lors des vacances de la famille Lancelin, les deux bonnes, dans un état de surexcitation extrême, appellent le Maire, où Christine, approuvée en silence par sa cadette Léa,  par un discours incompréhensible, lui dit qu’elles sont séquestrées et torturées depuis des mois par leurs patrons … L’on commence alors à se poser des questions sur l’état mental et moral des deux sœurs.

En résumé, leur histoire familiale  fut un élément catastrophique de leur vie, qui fut souvent prise comme cause du double meurtre leur étant reproché. Et malgré les signes avant coureur, nulle ne se doutait de ce qu’il allait arriver, et pour cause, les Lancelin étaient enviés par d’autres familles d’avoir des bonnes aussi appliquées à leur tâche, ce qui ne fait qu’accroître la relation fusionnelle des deux servantes.   

 

b) De la paranoïa au crime


Nombre de mystères pèsent aujourd’hui encore sur les circonstances du crime des sœurs meurtrières les plus célèbres et les plus fascinantes du pays.

Nous sommes le 2 février 1933, et les deux bonnes furent prises d’une folie meurtrière fatale aux deux femmes Lancelin : mère et fille.

Le soir, les Lancelin étaient invités chez les Chambon, amis de longue date de la famille. Madame Léonie et Géneviève, sa fille, devaient y rejoindre Monsieur René,  respectivement mari et père des deux femmes. Mais elles ne le rejoindront jamais.

A plusieurs reprises, Monsieur Lancelin, s’inquiétant de leur absence, se rendit devant leur demeure, et se heurta autant de fois à une porte fermée de l’intérieur. Pensant qu’elles s’étaient absentées un peu plus longtemps pour poursuivre leurs courses, il n’appellera pas la police immédiatement. Ce n’est qu’une heure plus tard qu’il préviendra le commissariat, et vers 19h30, il parvient, avec deux agents de police, à pénétrer dans la maison plongée dans le noir par un jardin voisin. Ils découvrent alors, horrifiés, les corps torturés et affreusement mutilés de madame et mademoiselle Lancelin, sur le palier du premier étage. Et, pensant trouver les corps des deux bonnes dans le même état, ils montent à la mansarde, l’endroit où elles vivent. Mais, sur le pas de la porte, ils appercoivent un marteau englué de sang, et en levant la tête, ils retrouvent les deux sœurs, vivantes, blotties l’une contre l’autre dans leur lit. Christine se lève alors et avoue leur crime, en le justifiant comme légitime défense : «  c’était elles ou nous. »  Les 2 jeunes femmes sont arrêtées sur le champs et inculpées d’assassinats. Durant son interrogatoire, Christine , ainée et «  chef » des deux sœurs, dira :

 

 « Quand Madame est rentrée, je lui est rendu compte que le fer était de nouveau démoli et que je n’avais pu repasser. Quand je lui ai dit cela, elle a voulu se jeter sur moi ; nous étions à ce moment là, ma sœur et moi et mes deux maîtresses, sur le palier du 1er étage. Voyant que Me Lancelin allait se jeter sur moi, je lui ai sauté à la figure et je lui ai arraché les yeux avec mes doigts. Quand j’ai dit que j’ai sauté sur Me Lancelin, je me trompe, c’est sur Melle Lancelin, Geneviève que j’ai sauté et c’est à cette dernière que j’ai arraché les yeux. Pendant ce temps, ma sœur Léa a sauté sur Me Lancelin lui a arraché également les yeux. Quand nous avons eu fait cela, elles se sont allongées et accroupies sur place ».

« Ensuite, je suis descendue précipitamment à la cuisine et je suis allée chercher un marteau et couteau, avec ces 2 instruments, ma sœur et moi nous sommes acharnées sur nos 2 maîtresses, nous avions frappé la tête à coups de couteau et nous avons également frappé avec un pot d’étain qui était placé sur une petite table sur le palier. Nous avons changé plusieurs fois les instruments de l’une à l’autre, c'est-à-dire que j’ai passé à ma sœur le marteau pour frapper et elle m’a passé le couteau, nous avons fait la même chose avec le pot d’étain. Les victimes se sont mise à crier, mais je ne ma souviens pas qu’elles aient prononcé quelques paroles. Quand nous avons eu fait le coup, je suis allée fermer au verrou la porte cochère et j’ai fermé également la porte du vestibule. J’ai fermé ces portes parce que j’aimais mieux que ce soit la police qui constate notre crime avant notre patron. Ensuite, ma sœur et moi sommes allées nous laver les mains à la cuisine car nous les avions pleine de sang, puis nous sommes montées dans notre chambre, nous avons enlevé nos effets qui étaient maculer de sang, nous avons mis nos peignoirs, nous avons fermé la porte de notre chambre à clef, et nous nous sommes couchées toutes les 2 dans le même lit. C’est là que vous nous avez trouvé quand vous avez enfoncé la porte. Je n’ai aucun regret ou, autrement dit, je ne peux pas vous dire si j’en ai pas, j’aime mieux avoie la peau de mes patronnes plutôt que se soit elles qui aient la mienne ou celle de ma sœur. Je n’ai pas prémédité mon crime, je n’avais pas de haine envers elles, mais j’admets pas le geste qu’à eu ce soir Me Lancelin à mon égard »….

 

Quant à Léa, la plus jeune, elle donnera une version identique à celle de sa sœur, mais parlera très peu, et sans donner le moindre détail pour ne rien différencier des aveux de Christine. En effet, il semblerait que Léa fut soumise à son aînée toute sa vie, ne comprenant parfois pas ses agissements paranoïaques. Voici sa discrète déposition :

« Tout ce que vous a dit ma sœur est exact, les crimes se sont passés exactement comme elle vous les a narrés. Mon rôle dans cette affaire est absolument celui qu’elle vous a indiqué. J’ai frappé autant qu’elle, comme elle ; j’affirme que nous n’avions pas prémédité de tuer nos patronnes, l’idée nous est venue instantanément, quand nous avons entendu que Me Lancelin nous faisait des reproches. Pas plus que ma sœur je n’ai le moindre regret de l’acte criminel que nous avons commis. Comme ma sœur, j’aime mieux avoir eu la peau de mes patronnes plutôt que se soit elles qui aient eu la notre »

Ce fut là la version officielle des faits donnés par les deux sœurs. Mais les psychologues vont alors se pencher sur une autre explication, s’appuyant sur la relation «  fusionnelles » de Christine et Léa. En effet, on peut penser que ces deux jeunes femmes entretenaient un amour tellement puissant qu’il bascula très vite vers l’inceste. Le crime commis se justifierai alors comme cela : les patronnes les auraient surpris toutes les deux nues dans le même lit, et dans des positions équivoques. Christine, qui ne voulait pas que cette histoire se sache, serait entrée dans une colère noire qui l’aurait conduite au crime de Léonie et Geneviève Lancelin ce 2 février 1933.  Léa, par amour et plus soumise que jamais à sa sœur, l’aurait suivie sans poser de questions. Une version peu ou pas médiatisée à cette époque, mais qui se prouve néanmoins par l’état des corps retrouvés. Le greffier du procès, ayant pris des notes personnelles, dira dans ses mémoires : « Les cadavres de Mme et Melle Lancelin étaient étendus par terre affreusement mutilés. Le cadavre de Melle reposant sur la face la tête nue, le manteau relevé, la jupe relevée, le pantalon baissé laissant voir de profondes blessures sur les grands fessiers et des entailles multiples sur les mollets; le cadavre de Mme Lancelin repose sur le dos, les yeux ont disparu, la bouche n’existe plus, les dents ont été projetées. Les murs et la porte sont couverts d’éclaboussures de sang que l’on retrouve jusqu’à 2 m 20 de haut. On trouve par terre des fragments d’os et de dents, un œil, des épingles à cheveux, un sac à main, un trousseau de clés, un paquet défait, de nombreux morceaux de faïence, un bouton de manteau. Armes du crime : un couteau de cuisine est saisi tout couvert de sang. On découvre le couvercle d’un pot d’étain brisé, le pot d’étain massif et lourd, aplati et cabossé couvert de sang, un marteau taché de sang. » Toute l’horreur du crime justifie pour de nombreux psychologues ayant étudié l’affaire un crime à caractère sexuel. ( jupe relevée, pantalon baissé … etc)

On remarque aussi que Christine, l’aînée des deux sœurs, souffrait d’une forme maladive de paranoîa qui aurait pu la conduire au crime des patronnes. Cependant, à l’époque des faits, les deux sœurs avaient été déclarées, par la justice et les 3 psychologues qui s’étaient penchés sur l’affaire, saines d’esprit, tout à fait responsables de leurs actes et sans aucun trouble psychique ni physique, malgré les prémices douteux d’une psychose paranoïaque que l’on retrouve surtout chez Christine, « la patronne » des deux soeurs. Cette maladie s’accompagne de troubles du langage, les mots étant pris au pied de la lettre. Voilà pourquoi l’expression « Je lui arracherais bien les yeux » s’est traduit, dans la folie des sœurs Papin, par une exécution réelle. La psychose paranoïaque est très difficile à diagnostiquer, car le délire n’est pas forcément visible par les autres, la personne pouvant rester cohérente en apparence, tout juste plus sombre et renfermée que la moyenne. Neuf jours avant son procès, Christine Papin, voyant sa fin arriver, tenta néanmoins de revenir sur sa déposition par une courte lettre adressée au commissaire qui instruisit l'enquête, Monsieur Lécrivant. La voici: 

« Monsieur L’écrivent Je vous demende si vous plaie Monsieur de me dire comment faires car j’ai bien mal avouer et vous me dire comment faire pour réparée Recevez mon pronfond recpec Christine Papin »

Les Lancelin étaient connus dans la ville du Mans. M. Lancelin était ancien avocat respecté dans la région de la Sarthe. A l'enterrement de Mme et Mlle Lancelin un détachement du 117e d'Infanterie était présent pour accompagner le cortège. En revanche, les deux bonnes étaient peu connues dans la rue Bruyère et ses environs. Selon le rapport du commissaire central les sœurs n'adressaient jamais la parole à aucun voisin, pas même aux domestiques des maisons voisines. Ceux qui les ont connues les ont considérées, en général, comme travailleuses, honnêtes et sérieuses

Au lendemain de l’affaire, le doublet-redoublé ( 2 assassins pour 2 victimes) fait la une de tous les journaux français, et choque la France entière tant par son horrifiant crime, que par le mystère qui pèse aujourd’hui encore sur l’affaire . Par exemple, « La Sarthe Du Soir », journal officiel le plus tiré au Mans, ville du crime, titrera  «Horrible forfait, Me Lancelin et sa fille Geneviève assassinées par leurs bonnes ». Il s’agit là du  premier crime commis par deux femmes répertorié à ce jour …

 

c) Un procès qui tourne à la parodie


Une des choses les plus frappantes de cette affaire reste encore son procès. En effet, de nombreux observateurs s’étaient plaints d’un procès trop rapide et expéditif, dont le chroniqueur de l’Oeuvre, qui écrivait, dès le lendemain du verdict : « On ne devrait pas rendre ainsi la justice dans la fièvre des après-dîners et des digestions difficiles ». En effet, la notion d’une justice «  juste » ne put être totalement rendue, puisque bâclée, aussi bien du côté de l’instruction que du côté de l’étude psychiatrique. Et pour cause, comme dit précédemment, aucun trouble psychique ou même physique n’a été remarqué par les 3 psychologues à qui les avocats de la défense des Lancelin avaient fait appel dans l’affaire.

Malgré la demande de la défense d’une seconde expertise psychiatrique, avec l’appui du docteur Logre, qui contestait le compte rendu de ses collègues, les jurés refusèrent l’idée et souscrivirent immédiatement au point de vue de Schützenberger, Truelle, et Baruk, les trois experts, qui considèrent comme une crise de colère dégénérée en crise meurtrière par deux sœurs saines d’esprit comme il pourrait avoir lieu chez Monsieur & Madame «  tout le monde » .

Le droit pénal part du principe qu’une personne “ démente ” au moment des actes ne peut tomber sous le coup de la loi et pour deux raisons :  tout d’abord parce qu’au moment des faits la personne ne pouvait avoir le discernement nécessaire et avoir une quelconque volonté d’agir ainsi, et d’autre part parce que son état psychologique rend  le sens de la sanction impossible à comprendre dans sa globalité. Cela dit, l’irresponsabilité pénale dû à des troubles délirants au moment de l’acte ne peut être en aucun cas une excuse, surtout si le procès pénal a lieu et si des nuances sont apportées, ce qui aurait pu être le cas dans ce crime. Par exemple, il est casiment évident que Christine fut la plus “ folle ” des deux, et que de son côté Léa fut considérée comme responsable de ses actes, malgré l’emprise de sa sœur sur elle.

Aucun des experts ne prit la peine de prendre en compte les antécédents familiaux de Christine et Léa, ni même de la vie singulière qu’elles menaient, malgré qu’il furent pourtant primordiaux dans leurs vies. (père alcoolique, violences conjugales, inceste sur la sœur aînée, un cousin aliéné, un oncle pendu ) Aucun fait réel n’a été pris en compte, malgré le fait qu’ils eut pu prouver la folie des deux sœurs. Ainsi , la déclaration du commissaire à propos de l’incident de la mairie s’est trouvée réduite à néant dans l’histoire du sentiment délirant de persécution des sœurs à l’égard de leurs patronnes. De plus, l’acharnement sadique sur les corps des victimes ne tenait pas comme argument de folie pour les experts, du fait que les criminelles avaient fait preuve de sang-froid en nettoyant leurs ustensiles et en se couchant après l’acte. L’étrange ressemblance avec la préparation d’un plat ne fut pas relevée à l’époque, ce qui connotait pourtant bien la notion d’un acte insensé. Même les crises de Christine ( pertes de mémoire, cris, automutilation, hallucinations …) pendant son séjour à la maison d’arrêt, qui faisaient l’objet de multiples témoignages ( codétenues & gardiens pénitenciers) furent laissé pour négligeables, puisque pour les jurés, il s’agissait là d’une véritable comédienne.

Après quelques mois d'investigation, l'instruction a conclu par une inculpation différente pour chaque sœur. Christine a été accusée du double meurtre tandis que Léa a été accusée d'avoir tué, sous l’ordre de sa soeur, Madame Lancelin. En septembre 1933, un jury dans la salle d'Assises du Sarthe a trouvé les deux femmes coupables de l'assassinat de leurs patronnes. Christine Papin a été condamné à "avoir la tête tranchée sur la place du Mans" mais un décret du président Albert Lebrun le 22 janvier 1934 a remplacé la peine de mort en travaux forcés à perpétuité. Cependant, elle a été internée à l'hôpital psychiatrique de Rennes au début de l’année1934. Elle y est morte le 18 mai 1937 de "cachexie vésanique" sans avoir revu sa sœur. Léa Papin à été condamnée à dix ans de travaux forcés et vingt ans d'interdiction de séjour. Elle a été libérée le 2 février 1943, le jour anniversaire du crime, puis elle a habité avec sa mère à Nantes où elle est morte en 2001.

 

 

d) Un crime assimilé au contexte historique


Après un rapide procès, puisque d’une durée d’une journée, justice fut rendue (ou non). En effet, le tribunal, ne reconnaissant en aucun cas la détresse mentale de ces deux sœurs, justifia le crime des sœurs Papin comme un appel au secours de deux personnes tout à fait saines d’esprit. Frappées par la misère d’après guerre, où le concept de la lutte des classes communiste persistait, il est très probable que cela ait entraîné, chez ces deux personnes, qui ne voulaient pas obéir aux ordres et se soumettre au patronat, une forme de résistance, comme si elles exprimaient leur mécontentement. Une hypothèse tout à fait plausible, mais qui ne semblerait être qu’une infime partie du mobile.

 

B- Comment l’art s’empare t-il de ces faits réels ?

 

 

a)Etude approfondie des « Blessures Assassines »

 

 

 Il s’agit là d’un des films les plus réalistes réalisés sur les sœurs Papin. On remarque dès le début du film l’interprétation générale que ce film porte à l’histoire de ces deux bonnes,  générant ainsi diverses sensations fil de son avancement. Les blessures assassines, ou la représentation d’un drame qui mêle amour impossible et conflit social, que Jean-Pierre Denis fait ressortir, grâce aux arrêts sur les visages, sur les objets du quotidien, des sauts dans le temps, autant de faits qui nous donnent l’impression que chaque scène est juxtaposée à une autre, sans vraiment de lien direct. Certains pourront donc dire que ce film est « brouillon », mais, en ayant étudié l’histoire vraie au préalable, je pense que Jean-Pierre Denis a au contraire, su retracer les faits non seulement avec sobriété ( puisque sans artifices …), mais aussi et surtout avec une précision épatante. En effet, il n’hésite pas à montrer tout ce qui pourrait choquer son spectateur : l’inceste et le crime, les clés de ce double-meurtre.

Ce film respecte soigneusement les faits, même si l’on peut lui reprocher de presque étouffer le crime, et d’ainsi donner une forme d’innocence, de disculpation aux deux sœurs, en faisant ressortir cet amour si fort qui les liait. La pathologie de Christine, sa folie, sa paranoïa, son amour inconditionnel pour Léa, autant de faits, autant d’excuses données par le réalisateur. Ainsi, les scènes de folies sont nombreuses chez Christine, et montrées de près, comme si on les vivait nous même.

Dès la lecture de la pochette du DVD, on comprend tout de suite la couleur : en effet, l’interprétation que fait ce film de l’Histoire des sœurs Papin se fait claire, de par la phrase qui la souligne : «  Ce n’est pas un crime, mais une histoire d’amour ».

Christine est un personnage que l’on a du mal à comprendre. On la voit se retenir une bonne partie du film, pour ne pas faire l’amour avec sa sœur, mais elle cède vite lorsque c’est Léa qui le demande. Possessive, Christine est rongée par son amour abusif pour sa sœur mais aussi par sa jalousie dès que l’on approche celle-ci, d’où les relations qu’elle entretient avec Clémence : elle ne supporte pas que sa mère ait de l’emprise sur Léa. Sa jalousie atteint alors son maximum lorsque Léa se rapproche de la fille Lancelin, ce qui pourrait, dans l’absolu, expliquer ce crime.

Sans compter Clémence, personnage très paradoxal, que l’on a tantôt envie de blâmer, tantôt envie de plaindre. Il s’agit d’une mère dure, autoritaire, infidèle (d’où l’ajout du personnage du « gazé », avec qui elle a une aventure) et surtout vénale. Malgré cela, elle fut quand même relativement présente dans la vie des deux jeunes filles (dans le film), et inquiète de leur sort. Aussi, il nous est impossible de la cerner. Le père lui, n’apparaît pas dans le film.

Autre personnage ajouté et important, celui d’Etienne, chasseur, qui fait la cours à Christine, ce qui renforce l’idée de son homosexualité, puisqu’elle refuse ses avances et invente l’existence d’un homme dans sa vie.

On dénote la présence de leur sœur ainée, Emilia, qui est, pour sa part, un personnage pour le moins énigmatique. On apprend que son père la violait, et, en ce qui me concerne, j’ai tendance à la prendre comme assez responsable des agissements de Christine, qui, déjà enfant, se comportait violemment, tout comme sa sœur aînée.

Quant à Léa, elle est représentée comme crédule, naïve, et sous la coupe de Christine, qui n’a de cesse de remplacer sa mère. Elle ne peut vivre sa vie, car elle est étouffée par l’amour de sa sœur, pour qui elle a néanmoins une très forte admiration depuis l’enfance. On voit Christine tuer ses patronnes, mais on ne voit pas Léa les scarifier, ce qui est une manière pour le réalisateur de donner à celle-ci une forme d’innocence.

 

  b) D’autres œuvres


Les sœurs Papin sont aujourd'hui passées à la postérité. Comme Violette Nozières à la même époque, elles ont acquis malgré elles un statut d'héroïne.

L'affaire a inspiré par la suite de nombreux auteurs. Jean genet a monté en 1947 une pièce de théâtre, intitulée "les bonnes", qu’il n’a prétendu ne pas avoir tirée de l’histoire des deux sœurs meurtrières, mais qui reste l’interprétation la plus connue, du fait de ses quelques ressemblances avec le fait. Mais il y a tout de même de notables différences entre la réalité et la vision de Genet.

En effet, au début de la pièce, on découvre deux personnages sur scène : Solange (Christine) et Claire (Léa), où Claire se présente en tant que patronne. Celle-ci n’hésite pas à être violente envers Solange, qui supporte cette humiliation en silence . Mais on s’aperçoit vite qu’en réalité, il s’agit d’un jeu, une sorte de mise-en-abyme, puisque Claire n’est autre que la sœur cadette de Solange. Elle a enfilé la robe de sa patronne, et l’imite, tant sur les manières que sur le langage. Fait étrange, le spectateur a l’impression d’assister à une représentation, comme une sorte de pièce de théâtre dans une pièce de théâtre, de cérémonie ( repris plus tard par Chabrol, dans son film « La Cérémonie »). Cette cérémonie est sensée se terminer par la mort de la patronne, c’est donc un acte prémédité. Mais voilà, le réveil sonne, et les deux sœurs s’aperçoivent qu’il est temps de tout ranger, avant le retour de la vraie « Madame ». En résumé, pour moi, on voit bien que si Genet s’est inspiré du fait divers inéluctablement, il ne faut pas voir plus loin qu’un point de départ, une vague inspiration, en tout cas pas une tentative d’interprétation pure et simple du crime des deux sœurs. Il ne serait néanmoins pas étonnant que Genet s’en soit inspiré, puisque ce n’était pas la première fois qu’il écrivait à propos de meurtres. Ainsi, dans « Miracle de la Rose », il écrit : « Aimer commettre un crime de connivence avec le jeune métis sur la couverture du livre déchiré. Je veux chanter l’assassinat, puisque j’aime les assassins. »

 Sa pièce, quelques années plus tard, sera adaptée au cinéma par Nico Papatakis, sous le titre "les abysses".

En 1994, c’est une britannique, Nancy Meckler, qui s’empare du fait divers et en fait un long métrage « à l’américaine », cette foi-ci en respectant pratiquement tous les faits réels.

Un an après, Claude Chabrol reprit la trame dramatique du destin des sœurs Papin et l'adapta pour son film "La cérémonie, en 1995. Voilà une autre façon d’envisager le drame des sœurs Papin, qui mêle à l’histoire une sorte de modernité, puisque cela se passe des années plus tard. Ainsi, il ne s’agit plus de deux sœurs, mais de deux amies, l’une poussant l’autre au crime.

Enfin, en littérature, l’œuvre la plus connues après celle de Jean Genet, reste le livre de Paulette Houdyer, intitulé : « L’affaire Papin, le diable dans la peau ». Effectivement, c’est là l’ouvrage le plus respectueux de la réalité des sœurs Papin que l’on ait jamais connu dans le monde de l’art. Ainsi, il retrace exactement l’histoire de ces deux jeunes femmes en perdition, plus avec une vision de scientifique et de chercheur, qu’avec une vision d’artiste se nourrissant d’un fait pour le rendre à terme différent. C’est de l’association de cet ouvrage et de la mise en scène de Jean-Pierre Denis que naîtra le film « Les Blessures Assassines », ici objet d’étude.

 

 

 



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